mercredi 29 juillet 2009

AFFICHES ET LUTTES SYNDICALES DE LA CGT (suite)

L'affaire Durand




"Dreyfus, bien qu'innocent, a été condamné parceque juif. Durand, bien qu'innocent, a été condamné parce que secrétaire du syndicat".
Ces mots résument parfaitement l'analyse de cet "assassinat social" que présente C. Géeroms, à l'époque secrétaire des syndicats du Havre (La Vie Ouvrière, 5 décembre 1910).
Car l'affaire Durand fut un peu l'affaire Dreyfus de la CGT. Un déni de justice accompli, non par antisémitisme dans ce cas, mais par haine de classe. L'un et l'autre pouvant conduire à des comportements semblables.

Au départ, une grève presque banale. Celle des charbonniers du Havre. Ils sont 6 à 700 à décharger les navires charbonniers, à remplir les soutes à combustible des autres bateaux ou à livrer en ville des sacs de charbon. S'il est des travailleurs au seuil de la misère, c'est bien eux. Des semaines de travail qui souvent ne dépassent pas trois jours. Des salaires au plus bas. Un "fourneau économique" installé sur les quais mêmes fournit la subsistance indispensable. Les nombreux cafés qui ceinturent le port fournissent le reste...

Justement, en ce soir du 9 septembre 1910, une rixe éclate dans l'un de ces bistrots entre quelques charbonniers et Dongé, lui aussi charbonnier, chef de bordée à la Transat, réputé pour être une "brute alcoolique" et présentement briseur de grève, alors qu'il a donné son adhésion au syndicat.

Et Dongé meurt des coups reçus ! Voilà la clef de voûte de l'affaire. Dès le lendemain, Le Havre-Eclair crie au meurtre syndical. L'agent général de la Transat "travaillant" habillement quelques charbonniers, prétend avoir la preuve que "Dongé a été condamné à mort" par l'Assemblée générale des grévistes pour s'être comporté en jaune !

La justice s'ébranle. Durand et deux autres responsables du syndicat sont arrêtés. En novembre, le procès s'ouvre devant les jurés de la Seine-Inférieure. Durand est défendu par Maître Coty. Curieux procès sans preuve où les prétendus témoins ne font que se contredire... Cependant, le 25 novembre, les jurés condamnent Durand à mort, sous l'inculpation de "complicité morale dans le meurtre de Dongé".
Le 28 novembre, 10 000 travailleurs du havre sont en grève pour exiger la révision du procès ( à tout hasard, le 129e d'infanterie avait reçu des cartouches !). Mais l'affaire Durand devient l'affaire de toute la CGT.

Car, s'il est une organisation où l'idée de justice est profondément enracinée...

Cependant, malgré les efforts de la CGT et l'immense mouvement de protestation qu'elle sut impulser à travers la France, l'injustice était trop lourde à supporter : Jules Durand perdit la raison, fut interné à l'asile de Quatre-Mares et y mourut le 20 février 1926.


A l'ombre


Ne vous y trompez pas, ces images sont banales : postier arrêté, mineurs de Courrières arrêtés, cheminots arrêtés... La Belle Epoque préfère les syndicaliste à l'ombre ! Toutes les occasions sont bonnes : grèves, manifestations, journées du 1er mai. Tous les pretextes sont valables : entrave à la sacro-sainte liberté du travail, refus d'obtempérer, outrage à la force publique, bris de propriété, injures à l'armée... Le plateau de la justice penche sans faiblesse quand on lui présente ces meneurs, ces agitateurs, ces fomenteurs de désordre.

C'est ainsi qu'au casier judiciaire de Georges Yvetot, secrétaire de la CGT, on relève en deux ans seulement, le "palmarès" suivant : 1 mois de prison et 100 francs d'amende, le 8 septembre 1903; 2 ans de prison le 27 février 1904; 3 mois de prison et 100 francs d'amende le 28 juillet 1904; 2 mois de prison et 30 francs d'amende le 20 novembre 1904; 3 ans de prison et 100 francs d'amende le 3 décembre 1905, etc. Faisant de nécessité vertu, les syndicalistes ainsi en rupture de vie active mettront à profit ces temps de "liberté" pour étudier, lire, apprendre, acquérir des connaissances théoriques. La prison deviendra souvent une école syndicale de haut niveau.

Et les organisations de secours et de solidarité jouent un rôle d'importance. C'est une vieille tradition dans le mouvement ouvrier que de ne jamais refuser son aide aux camarades victimes de la répression.

lundi 27 juillet 2009

AFFICHES ET LUTTES SYNDICALES DE LA CGT (suite)

Sorties de gare


A la gare centrale de la "Seine-Touche", deux sorties fort distinctes. L'une, étroite, où se pressent cantonniers, chefs de gare, ouvriers d'atelier, garde-barrières, mécaniciens, garde-freins et bien entendu, l'éternel lampiste...

L'autre, de dimension respectable, réservée à MM. les directeurs, sous-directeurs et ingénieurs-en-chef des Compagnies.

Image simpliste ? Ouvriérisme primaire ? Relent d'un vieil anarchisme viscéral ?

C'est peut-être vite dit !

Ne trouve-t-on pas, en cette année 1910, six Rothschild dans les fauteuils du conseil d'administration de la Compagnie du Nord : le baron Edouard, le baron Gustave, le baron James, plus le baron Alfred de Londres, Lord Rothschild de Londres encore et Lambert de Bruxelles ?

A la Compagnie du PLM, on retrouve ce bon baron Gustave, tandis qu'Edmond siège à la Compagnie de l'Est. A la Compagnie du Midi, deux très proches de la famille, les Pereire, Edmond et Henry.

A croire, d'ailleurs, que le rail est devenu le nouveau Gotha de la noblesse ! A la Compagnie du Nord, M. le comte Pille-Will, M. le comte de Germiny. A la Compagnie d'Orléans, M. le marquis de Voguë, le compte Ségur, le marquis de Montaigu, le baron de Courcel. Le marquis de la Tour du Pin, le compte Foy. A la Compagnie du midi, le comte d'Hussel.

Aux côtés de ces messieurs au sang bleu, les princes de la finance : MM. le banquiers Hottinger, Adam, Vernes, etc.

Quant à la situation des cheminots, voilà ce que pouvait en écrire la Vie Ouvrière : "Alors que, dans la plupart des industries, les salaires sont en voie de hausse, alors que le coût de la vie a augmenté dans une proportion de 20 % au moins depuis dix ans, les cheminots sont restés avec leurs salaires misérables d'il y a trente ans. Comment font-ils pour joindre les deux bouts ? Moyennant quelles privations arrivent-ils à vivre et à faire vivre une famille ? C'est là un problème douloureux à résoudre."

... Et qui explique cette première grande grève nationale de l'ensemble de la corporation, une grève pour gagner, enfin, une "thune" par jour !


La grève de la "thune"




Ce fut, dans notre histoire, la première grève pour les salaires qui entraîna une corporation entière, à l'échelle du pays. En l'occurrence, celle des cheminots. Il faut dire que le sort du travailleur du rail en 1910 n'a rien d'enviable. S'il bénéficie d'une relative sécurité d'emploi et de la perspective d'une retraite, son pouvoir d'achat ne cesse de baisser et le "poseur" du réseau de l'Etat, avec 2,87 F par jour, aura grand-peine à nourrir sa famille. "C'est bien la faim qui les a soulevés", écrit la Vie Ouvrière.

Les cheminots réclament un minimum de 5 F par jour et joignent à cette revendication la rétroactivité de la loi sur les retraites, la réglementation du travail et le repos hebdomadaire.

Le mouvement éclate le 8 octobre aux ateliers de Tergnier et gagne aussitôt le dépôt de la Chapelle. Le 10, il touche l'ensemble de la Compagnie du Nord (la plus puissante, celle de Rothschild). Le 11, il gagne l'Ouest-Etat et le mot d'ordre de grève générale est lancé. Le 12, le gouvernement mobilise tous les cheminots du Nord, alors que les réseaux Est et PLM décident la grève. Le 13, tous les cheminots sont réquisitionnés. Le Midi, à son tour, décide la grève.

Mais le 13, également, le gouvernement lance 21 mandats d'arrêts contre les dirigeants syndicaux, procède à des arrestations et annonce la découverte d'un complot (il fait même état de "sabotage"). Briand évoque "un mouvement insurrectionnel et révolutionnaire".

Officiellement, il ne s'agit plus d'une grève, mais d'un délit militaire. De leur côté, les grandes compagnies "arrosent" abondamment la presse. C'est un déferlement général d'anathèmes contre les cheminots.

Le 19, le comité de grève décide la reprise du travail. La grève a duré huit jours. Elle a entraîné plus de 80 000 cheminots. Elle sera suivie de plus de 3 000 révocations !

Dans cette lutte d'ampleur nationale, les cheminots se sont heurtés à la fois aux directions des compagnies ferroviaires (à l'époque, elles comptent parmi les plus grosses puissances financières du pays), à l'appareil d'Etat, utilisant l'ensemble de son arsenal de répression (y compris l'armée), mais encore aux "faiseurs d'opinion", la grande presse, manoeuvrée par les compagnies.

Et si, dans l'immédiat, la grève semble se terminer par un échec cruel (La vie Ouvrière consacrera de nombreuses pages à son analyse, car un échec aussi peut et doit permettre de progresser...), dès le début de 1911, satisfaction sera accordée aux cheminots sur deux des revendications de la grève : les 5 F par jour et les retraites.

mercredi 22 juillet 2009

AFFICHES ET LUTTES SYNDICALES DE LA CGT (suite)

Dûment daté...



Cette affiche date. Nous tenons à le préciser d'emblée. D'ailleurs, c'est l'évidence puisqu'il y est fait mention de gabegie, de gaspillage, de dilapidations (qu'elle est riche la langue française !). Plus grave encore, de malfaçons, de marchés de complaisance, d'adjudications truquées... Horreur !

On va jusqu'à nous montrer du doigt une certaine "maison suédoise" (qui cela pouvait-il bien être ?) et certaines "maisons américaines" (vraiment, cela est-il pensable ?), qui auraient été les instigatrices et les bénéficiaires de ces procédés pas très jolis, vous en conviendrez.

Mais puisque cela date, il n'y a pas lieu de fouetter un chat... A bien y réfléchir cela doit remonter encore plus loin que ces malodorantes affaires de corruption qui ont éclaboussé, il n'y a pas si longtemps, certaines têtes de haut prestige dans quelques pays d'Europe et d'Asie...

Vrai, 1909, que c'est loin...

Retraites pour les morts ?



La loi du 5 avril 1910 portant création de "retraites ouvrières et paysannes" (elle devait entrer en application en 1911), va soulever un immense débat dans la CGT et occupera pour une bonne part les travaux du congrès de Toulouse (octobre 1910).

Certes, il s'agit là d'une très ancienne revendication de la CGT puisqu'elle fut formulée dès son premier congrès en 1895. Mais, pour l'heure les syndicalistes s'interrogent sur la valeur de cette loi et sur des dangers qu'elle présente. Fallait-il accepter le principe du "versement ouvrier", qui leur apparaissait comme une baisse des salaires déguisée? Et ce "livret de retraite" sur lequel serait inscrits les versements des travailleurs, ne pouvait-il pas devenir un véritable casier judiciaire du travail ? Et les patrons n'allaient-ils pas utiliser l'argent ainsi recueilli pour renforcer l'exploitation ?

En résumé, trois grands reproches sont faits à la loi : des retraites insuffisantes, qui arrivent beaucoup trop tard et, surtout, des fonds gérés par les seuls patrons et dans leur intérêt.

De là le problème à résoudre : Quelle attitude adopter ? Faillait-il accepter la loi telle quelle ou la rejeter ? Ou encore, lutter pour son amélioration ? Le débat cristallise les deux grandes tendances qui l'une et l'autre s'exprime au congrès : le courant réformiste et le courant révolutionnaire. Finalement, à une forte majorité, le congrès rejette la loi.

D'une manière plus fondamentale, il s'agissait pour le mouvement syndical de rechercher l'attitude juste à adopter devant la légalité dite "bourgeoise" ! Un problème difficile et complexe. Comment éviter à la fois une position légaliste absolue (qui reviendrait à une soumission), mais aussi la position du "tout ou rien" qui laisserait les travailleurs démunis ?

En réalité, la campagne vigoureuse menée par la CGT contre "les retraites pour les morts" aboutira en 1912 à une première modification de la loi.

mardi 21 juillet 2009

AFFICHES ET LUTTES SYNDICALES DE LA CGT (suite)

Forfaiture !


Les événements qui, de novembre 1908 à août 1908, ont eu pour cadre la région de Draveil, Vigneux, Villeneuve-St-Georges, offrent un exemple complet et, hélas, presque parfait, d'une répression anti-ouvrière, menée avec détermination, sang-froid et la pire brutalité, sous la conduite, quasiment personnelle, du président du Conseil, qui en héritera, tout au moins du côté des travailleurs, du titre infamant de "Villeneuve-St-Georges-Clémenceau", ou encore de "Clémenceau-le-Tueur".

Rappelons succinctement l'enchaînement des faits. Le 18 novembre, les "carriers" des sablières de la Seine, à Vigneux (la mise en chantier du Métropolitain a provoqué d'énormes besoins en sable), se mettent en grève. Ils exigent 50 centimes de l'heure et la signature d'un contrat engageant tous les patrons des sablières. La nécessité d'une sorte de "convention collective" est déjà perçue. Le 22, les carriers obtiennent satisfaction sur le chapitre des salaires, reprennent le travail et forment un syndicat.
Le 2 mai 1908, la grève éclate à nouveau sur plusieurs fouilles, pour 70 centimes de l'heure et la suppression du travail à la tâche. les patrons se concertent et forment un cartel de défense. Le 21, ils tentent de briser la grève en introduisant des "jaunes". Le 28, vifs incidents entre gendarmes et grévistes, les premiers intervenant pour "libérer" quatre "renards" interceptés par les grévistes.
Le 2 juin, évènement décisif dans la salle du café Ranque, à Draveil, qui sert de permanence aux grévistes. Postés à la porte et aux fenêtres, les gendarmes tirent : deux grévistes tués, dix autres blessés. Dans la nuit même, la CGT placarde l'affiche "Gouvernement d'Assassins".
Le 4, la colère des travailleurs se manifeste à l'occasion des obsèques des deux victimes. Le 5, enterrement d'un jeune garçon de 16 ans qui a succombé à ses blessures. La Fédération du Bâtiment multiplie les menaces de grève générale. Sur place, dans une tension de plus en plus vive, la grève continue, les grévistes exigent la reconnaissance de leur syndicat.
le 27 juillet (déjà presque trois mois de grève), nouvel incident à Vigneux : les gendarmes arrêtent cinq dirigeants syndicaux. La Fédération du Bâtiment décide alors la grève générale avec manifestation sur place pour le 30 juillet.
Le 30 juillet, tout peut arriver... et le pire arrive. Sur le remblai de la voie ferrée, occupé par les manifestants, les dragons chargent et sabrent. Les manifestants sont encerclés. Pour se défendre, ils élèvent quelques barricades dans Villeneuve-St-Georges. Une véritable bataille rangée. Bilan de la journée : quatre morts et de très nombreux blessés.
Le 1er août, Clémenceau fait arrêter sept dirigeants confédéraux. La CGT est amenée à désigner un bureau provisoire pour remplacer les emprisonnés. Le 3 août, un mot d'ordre d'arrêt du travail de 24 heures passera presque inaperçu. Le 4 août, la grève de Draveil est terminée : les carriers reprennent le travail avec 55 centimes au lieu de 50.
Au long de la lutte, nous avons vu apparaître un cartel patronal, formé pour empêcher les patrons d'accorder satisfaction les uns après les autres, et sa liaison étroite avec l'appareil gouvernemental : préfet, sous-préfet, police, ministres mêmes, sans oublier les gendarmes et les dragons... Sans oublier non plus, l'histoire le révèlera par la suite, l'intervention de provocateurs dûment patentés, prônant l'intransigeance, entraînant à des actions "vigoureuses", refusant tout compromis...Et encore, du côté syndical cette fois, abondance de verbiage virulent, de menaces inconsidérées ("on va décider la grève générale..."), de mots d'ordre hasardeux, de jusqu'auboutisme forcené.
Clémenceau recherchait un exemple et voulait briser la CGT ! Il n'a pu la briser. Sans doute même, a-t-il contribué malgré lui à ce que germent certaines réflexions... Le syndicalisme peut-il s'improviser ? La lutte des classes peut-elle négliger la réflexion, l'analyse, la lucidité, l'esprit de responsabilité ?
Le syndicalisme n'est-il pas affaire trop sérieuse pour qu'il ne soit pas nécessaire de l'apprendre ?
Et, certainement, le conseil formulé par Jaurès portera fruit : "Pour mener ainsi contre le capitalisme une lutte déclarée, systématique et à fond, pour donner à tous les épisodes, à tous les moments de la lutte ouvrière leur pleine valeur, il faut une grande force d'organisation. Il faut que les syndicats puissants, nombreux, largement recrutés servent de base à cette grande action continue. " (L'Humanité, le 3 août 1908).

Le syndicalisme peut-il rêver ?


Alors que les événements tragiques de Villeneuve-St-Georges bouleversent encore les esprits, alors que la grève de 24 heures du 3 août ressemble fort à un échec, alors que les principaux dirigeants de la CGT sont en prison, alors que l'Union des Syndicats de la Seine est expulsée de ses locaux de la rue du Château-d'Eau, cette dernière annonce, par voie d'affiches, un grand meeting sur la "Grève générale".

C'est dire combien le vieux rêve d'un "grand soir syndical" qui permettrait d'un coup l'aboutissement de toutes les espérances, est ancré au plus profond des esprits ! Quinze jours auparavant d'ailleurs, Griffuelhes, secrétaire de la CGT, écrivait dans le Matin : " Seule la grève générale fera surgir la libération définitive, car elle sera pour le salarié le refus de produire pour le parasite et le point de départ d'un mode de production ayant pour seul bénéficiaire le producteur."

Il est vrai que, contrastant avec les sujets d'inquiétude qu'offre l'actualité, le camarade Pataud, secrétaire du syndicat des industries électiques, pourra faire état du succès de la grève qui a plongé Paris dans le noir, la veille au soir, grève menée d'ailleurs pour des revendications strictement professionnelles.

On distribuera à chaque participant au meeting la brochure du camarade Yvetot (secrétaire de la section des Bourses du Travail et, pour l'heure, lui aussi, en prison) : "L'A.B.C. Syndicaliste".

L'A.B.C. du syndicaliste que chaque militant est amené ,un jour ou l'autre, à connaître lui conseille de ne jamais trop rêver... En tout cas, de ne jamais trop prendre ses rêves pour réalité ! Surtout, quand il s'agit de "grève générale".

mercredi 15 juillet 2009

AFFICHES ET LUTTES SYNDICALES DE LA CGT (suite)

Un 1er mai très préparé...



Le charme qui se dégage du dessin de Grandjouan ne doit pas faire illusion... le 1er mai 1906 fut tout autre chose qu'une agréable sortie champêtre.

Son mot d'ordre "à partir du 1er mai, nous ne travaillerons que 8 heures par jour" avait été fixé par le 8ème congrès de la CGT, à Bourges, deux ans auparavant. Ces deux années paraissant nécessaires au Congrès pour préparer une lutte d'un tel niveau, car il ne s'agissait pas moins que d'obtenir la limitation par les travailleurs eux-mêmes de la durée du travail. Une fois leurs 8 heures accomplies, ils quitteraient les ateliers de leur propre chef... et cela quoi qu'en dise le patron !

Si les syndicats préparaient de longue date ce 1er mai, de son côté le gouvernement ne restait pas inactif. Le nouveau ministre de l'intérieur, Clémenceau, vient de s'illustrer en envoyant 20 000 soldats dans le bassin minier pour mater quelques 40 000 mineurs en grève après l'effroyable catastrophe de Courrières. Il annonce au pays l'arrivée imminente d'un "formidable ensemble de grèves" qui cache, à l'en croire, un affreux complot contre la République, fomenté par une coalition des syndicalistes avec les royalistes !.

Le bourgeois prend peur. La Dépêche de Toulouse décrit ainsi l'ambiance : " Un nombre assez sensible de citoyens ont vu venir le 1er mai comme un tremblement de terre ou une éruption de volcan." Les ménagères font des stocks. Les boulangeries même sont dévalisées. On se prépare à la disette...

Effectivement, au matin du 1er mai, Paris et les grandes villes paraissent en état de siège. La troupe est partout. Pour donner le ton, Clémenceau avait fait arrêter la veille Griffuelhes et Monatte, dirigeants de la CGT. Malgrè ce dispositif, la grève est marquante. Plus de 10 000 grévistes à Paris et des arrestations en nombre.

Le lendemain, les maçons parisiens entameront une grève qu'ils prolongeront pendant 42 jours, sans résultat. A Montluçon, la grève durera plusieurs semaines et donnera lieu à des affrontements avec la garde à cheval. Clémenceau s'enfonce dans une politique de répression antisyndicale, qui durera...

Cependant, l'année 1906 comptera plus de 400 000 grévistes et, s'il est loin de satisfaire la revendication des 8 heures (il faudra attendre 1919), le gouvernement est amené à rendre obligatoire le repos hebdomadaire (loi du 13 juillet 1906) dont certains travailleurs ne bénéficiaient même pas...

Car, c'était cela aussi la "Belle époque".

Comment lutter ?



Il n'y a guère plus d'un an, c'était en avril 1905, la grève des porcelainiers de Limoges avait donné lieu à une véritable intervention militaire, à laquelle avait répondu une vigoureuse défense des travailleurs... avec barricades, incendies, attaque de prison, etc... Bilan : un jeune porcelainier tué par les Lebel du 78ème d'Infanterie et une douzaine de blessés par les charges de cavalerie.

Ce qui s'est produit hier à Limoges va-t-il se renouveler en ce mois de septembre 1906 à Grenoble ? C'est la question que chacun est amené à se poser, alors que la grève des métallos de cette ville franchit son dixième jour. En effet...

Le 10 septembre 1906, le préfet envoie 50 gendarmes aux portes de l'usine de boutons Raymond, pour y assurer la "liberté du travail".

Le 11, la grève continuant (et les gendarmes s'étant fait sérieusement houspiller la veille), arrivent en renfort 600 fantassins et 100 cavaliers.

Le 17, la grève continuant (et la combativité des grévistes ne se démentant pas), s'y joignent 80 gendarmes à pied, 40 gendarmes à cheval, 250 cavaliers, 800 fantassins. On atteint le rapport d'un homme en arme pour deux grévistes !

Le 18, la grève continuant (et les échauffourées devenant de plus en plus brûlantes), débarquent en gare 3 bataillons d'infanterie et 4 escadrons de cavalerie, soit près de 2 000 hommes...

Ce n'est plus Grenoble, c'est Austerlitz !

Et pourtant, la grève des métallos continua plus de trois semaines. Si elle ne fut pas victorieuse, elle donna matière à réflexion. Le meilleur moyen de gagner une grève est-il de passer à tabac le substitut du procureur de la République, ou de "démolir" systématiquement les uns après les autres les commissaires de police ? Une minorité "musclée" et agissante est-elle aussi efficace que des syndicats puissants et organisés ? L'action directe, chère aux anarchistes, est-elle bien comprise par l'opinion publique ? Le dirigeants syndicaux, pour reprendre l'expression de Merrheim, peuvent-ils se permettre de "planer au-dessus des masses" ?

Ainsi le mouvement syndical a appris qu'il lui fallait apprendre à lutter. Quant au courage, il en avait à revendre.

Cette "année-force" du syndicalisme que fut 1906 verra son aboutissement au 9ème congrès de la CGT. Le congrès adopte en effet sous le nom de "Charte d'Amiens" un texte qui marquera pour l'avenir certains traits permanents de la CGT : lutte pour la disparition du salariat et du patronat, reconnaissance de la lutte des classes, nécessité de l'action quotidienne contre le capital et, surtout, indépendance totale de l'organisation syndicale par rapport aux partis politiques.

mercredi 8 juillet 2009

AFFICHES ET LUTTES SYNDICALES DE LA CGT (suite)

Les verriers de Carmaux

Alors que se tient le congrès constitutif de la CGT, la petite ville ouvrière de Carmaux est une nouvelle fois le théâtre d'une lutte difficile, Déjà, en 1892, les mineurs de la ville avaient dû faire grève pour protester contre le licenciement de leur camarade Calvignac, ouvrier ajusteur à la mine, élu maire et conseiller général.

Calvignac est délégué au congrès de Limoges, où il joue d'ailleurs un rôle important. Aux impatients de la révolution il répond : "l'ouvrier ne peut pas arriver au but futur sans passer par des transitions..."

Mais pour l'heure, ce sont les verriers de Carmaux qui sont en grève. En juillet, leur directeur (il en héritera de l'appellation : "l'infâme Rességier") a licencié deux ouvriers qui se sont absentés pour participer au congrès des Verriers. A dire vrai, ce n'est qu'un prétexte, Rességier a une vieille dette à régler avec le syndicat et, par ricochet, avec Jaurès, qui vient d'être réélu député de Carmaux.

A la grève, il répond par le lock-out et l'appel aux gendarmes. Et le conflit se durcit. Cinq cent familles sont sans ressources. Un grand mouvement de solidarité naît à travers la France, car il devient évident que le patronat veut faire de Carmaux un exemple.

Sur place, en effet, c'est l'épreuve de forces. Affrontements avec l'armée. Grévistes traînés en correctionnelle. L'infâme Rességier se refuse à lâcher prise...

Alors, naît l'idée de se passer de Rességier ! De construire une nouvelle verrerie, appartenant aux travailleurs et dirigée par eux. Le terrain est trouvé à Albi. Les verriers se font terrassiers, puis maçons. Le 25 octobre 1896, la "Verrerie ouvrière d'Albi" est inaugurée. Et Jaurès ne pourra s'interdire une des ces envolées lyriques dont il a le secret : "La classe ouvrière a érigé sa première basilique où les choeurs chanteront non dans le tonnerre des orgues, mais dans la majestueuse mélodie des machines".


La sève



Assemblée générale, rapport, compte-rendu, discussion, vote, candidatures, élections, partage des tâches, contrôle des tâches... Je vous soupçonne d'esquisser un certain sourire devant ce "formalisme" de la vie syndicale qui date de 1896 ! Mais vous avez grand tord de considérer comme "routine" ces formes d'expression de notre tradition démocratique. Elles représentent un acquis précieux (songez seulement à la question : Comment se fait-il que le syndicalisme français n'ait jamais connu les perversions du syndicalisme américain ?) qui nous permet aujourd'hui, avec des modalités concrètes adaptées ou renouvelées, de progresser plus avant...

Chaque militant pourrait dire ce que représente d'efforts et de recherche permanente ce choix d'un syndicalisme toujours plus authentiquement démocratique...

D'autant plus qu'il s'agit de l'enraciner et de lui donner vie au coeur même de ce qui est monument d'autoritarisme et antithèse de toute démocratie : l'entreprise capitaliste !


Le climat social...




Deux affiches, fort différentes quant à leur origine, mais qui toutes deux révèlent dans quel climat "social" commence le XXème siècle (peut-être notre lecteur pensera-t-il qu'un tel climat appartenait au type "persistant" ?).

Les patrons de Vitry-le-François protestent contre le premier embryon de législation sur les accidents du travail... (notons, pour mémoire, que les mêmes ou leurs héritiers protesteront contre la loi imposant le repos hebdomadaire en 1906, contre la loi des huit heurs en 1919, la loi des 40 heures en 1936, les acquis de Grenelle en 1968...).

Les mineurs protestent contre le fait que trois ans après la terrible catastrophe du 10 mars 1916 à Courrières, dont le bilan s'élevait à 1 200 morts, aucune poursuite sérieuse ne soit encore menée contre la Compagnie des Mines, bien qu'il soit prouvé que cette dernière n'ait tenu aucun compte des avertissement répétés du délégué-mineur Simon Rix...

Deux faits qui rappellent combien tous les acquis sociaux seront fruits de la lutte et de la vigilance des travailleurs. Quant à l'attitude du pouvoir, le mouvement syndical n'aura que trop de preuves, dès ce début de siècle, qu'elle peut jouer le rôle, selon l'expression imagée de nos camarades mineurs, du "chien de garde du capital".

AFFICHES ET LUTTES SYNDICALES DE LA CGT (suite)

La bourse du travail



A l'origine, l'idée n'était pas exempte d'un certain paternalisme. Il s'agissait, selon ses promoteurs, de construire "un refuge clos et couvert afin d'abriter les nombreux groupes d'ouvriers qui se réunissent chaque matin pour l'embauchage". Mais les militants, tout en conservant l'aspect "aide aux chômeurs", transformèrent l'idée initiale et firent des Bourses du Travail le "point de rencontre" de toutes les organisations professionnelles d'une localité.
Ainsi, comme l'expose lui-même Fernand Pelloutier, qui impulsa profondément cette création, "la Bourse du Travail, centre de réunion des organisations ouvrières, allait avoir pour premier résultat de nouer entre elles de solides et permanentes relations, c'est-à-dire de leur permettre cette entente, cette éducation mutuelle dont l'absence avait été jusqu'alors l'insurmontable obstacle à leur développement et à leur efficacité".

Très naturellement se fit sentir le besoin de coordonner l'activité de toutes ces bourses, ce qui fut réalisé en février 1892 par la création de la Fédération nationale des Bourses du Travail. Ainsi, aux côtés de la Fédération des Syndicats, était constituée la deuxième grande composante de notre mouvement syndical. La conjonction de ces deux organisations donnera naissance à la CGT.


La naissance




En voyant apparaître cette affiche sur leurs murs, combien d'habitants de Limoges imaginaient qu'elle anonçait un évènement historique pour le syndicalisme français ? En effet, c'est dans cette ville qu'en septembre 1895, à l'issue du congrès des métallurgistes, va naître la CGT.

Certes, le besoin en était pressant. Le mouvement syndical ressemblait fort à ce "capharnaüm" évoqué par un délégué à la tribune du congrès. On y trouvait la puissante (et quelque peu fière) Fédération des Bourses du Travail, puis, entretenant des rapports tendus avec celle-ci, la Fédération nationale des Syndicats, elle-même divisée, et encore de multiples organisations isolées, d'appellations, de natures et d'importances fort dicerses : chambres syndicales, syndicats nationaux, cercles corportatifs, fédérations départementales, syndicats locaux, etc. L'union sévérait nécessaire, c'était une évidence pour tous, mais les tentatives précédentes (la dernière datait de l'année précédente) avaient toutes tourné court. A Limoges, l'objectif espéré est atteint. Les 28 Fédérations, les 18 Bourses du Travail et les 126 chambres syndicales représentées décident de créer une organisation unique.

"Entre les divers syndicats et groupements professionnels de syndicats d'ouvriers et d'employés des deux sexes existant en France et aux colonies, il est créé une organisation unitaire et collective, qui prend pour titre : CONFÉDERATION GÉNÉRALE DU TRAVAIL."

Le congrès définit pour la nouvelle organisation une orientation de classe. Il affirme sa volonté de réaliser "la suppression de l'exploitation de l'homme par l'homme" et fixe comme ligne d'action "d'unir sur le terrain économique et dans des liens d'étroite solidarité les travailleurs en lutte pour leur émancipation intégrale."

Le départ est pris... mais le démarrage sera lent. Il faudra attendre 1902 pour que se réalise la véritable fusion entre la Fédération des Bourses et celle des syndicats.

lundi 6 juillet 2009

AFFICHES ET LUTTES SYNDICALE DE LA CGT (suite)

Le temps de vivre



Un mot d'ordre pour ce "premier" 1er mai 1890 : les 8 heures. Ainsi commençait à une échelle nouvelle, puisque nationale et internationale, le très long combat des ouvriers pour la qualité de leur vie...

Et il s'attaquait à l'essentiel : la durée du travail, car celle-ci était telle qu'elle ne laissait plus place pour aucune possibilité réelle de vie, hormis les quelques heures indispensables de repos.

Voici d'ailleurs l'état de la durée quotidienne du travail en France, relevé par Fernand Pelloutier, l'animateur du mouvement des Bourses du Travail, en 1990 :

Conducteurs des omnibus de Paris : 14 à 18 h (2 jours de repos par mois).
Employés de bazars parisiens : 15 à 17 h.
Employés de prison : 13 h.
Garçons de cafés et restaurants : de 8 h du matin à minuit passé.
Garçons de bouchers : de 15 à 18 h (un jour de repos par an).
Livreurs, camionneurs : de 4 h 30 ou 5 h du matin à 9 h du soir.
Employés des lycées de Paris : 14 h.
Aiguilleurs et mécaniciens des chemins de fer : 15 à 16 h.
Cantonniers : 10 h.
Raffineurs : 11 h.
Cordiers, manoeuvres : de 10 à 14 h.
Bijoutiers, boulangers, maçons, peintres, serruriers, charpentiers : 11 h.
Ebénistes, ouvriers d'imprimerie, graveurs, diamantaires : 8 à 10 h.


Qui décide ?


Arrêtons-nous quelques instants devant cette affiche, car elle est révélatrice d'un trait de notre caractère auquel nous portons une certaine fierté. Et d'autant plus révélatrice qu'elle date de 1890 !

Les tullistes de Calais, organisés en Chambre syndicale, sont en grève. Une grève, on l'imagine aisément, dure, longue, difficile, qui donne lieu à une véritable bataille d'affiches sur les murs de la ville. Car les patrons ne veulent pas céder, ils font bloc et tentent la manoeuvre classique : diviser les travailleurs.

D'ailleurs, comment expliquer la combativité des tullistes si ce n'est par l'intervention d'un "meneur", d'un agitateur professionnel ou de quelques fauteurs de désordre ?

Lisez la réponse : la "décision", ce 5 octobre 1890, a été prise par les 2 983 grévistes, réunis en assemblée générale.

Et vous comprendrez combien, avec de tels antécédents, nous voudrions toujours savoir respecter cette "loi fondamentale" du mouvement ouvrier, comme les tullistes de Calais... en 1890.


La lutte pour pain



Si encore la sueur suffisait pour que l'on soit assuré de gagner son pain ! En cette fin de siècle, la revendication n'est pas image, et quand les travailleurs réclament "du pain" c'est que dans les familles ouvrières il constitue souvent l'essentiel de la nourriture et que se pose pour elles l'angoissant problème qu'il soit quotidien. Déjà, en 1855, un sous-préfet du Maine-et-Loire pouvait noter : "il y a plusieurs mois que nos ouvriers tisserands sont réduits au pain, au sel et à l'eau pour toute nourriture et bien des familles n'ont même pas le pain en quantité suffisante". Ce qu'on appelait alors le paupérisme est tel que d'honorables philanthropes ont créé l'oeuvre de la "Bouchée de pain" qui distribue une ration de survie aux plus démunis. Sans doute, Jules Guesde, dans cette conférence tenue à Lyon, a-t-il cité le chiffe de 195 000 personnes qui meurent de faim et de misère. Principalement pendant cette "morte saison", où beaucoup restaient sans travail, et qu'il appelait "la saison où l'on meurt".

Quand à la réponse du pouvoir, elle est connue. Le 1er mai de cette année 1891, il fait "essayer", sur les travailleurs de Fourmies, le nouveau fusil Lebel.
Un très bon fusil. Bilan : 9 morts (dont 8 de moins de 21 ans et un enfant de 12 ans).

jeudi 2 juillet 2009

AFFICHES ET LUTTES SYNDICALES DE LA CGT (suite)

La résurgence



Les bourreaux de la Commune pensaient avoir fait oeuvre définitive. Ils se trompent, "la Commune n'est pas morte" ! Bien que blessé, saigné, décapité, le mouvement ouvrier, avec une rapidité surprenante, va retrouver force et vigueur.

Cependant, le capitalisme français s'est fait distancer sur le plan du développement industriel. La France accuse un net retard par rapport à "l'usine du monde" (l'Angleterre). La grande industrie reste l'exception ; la petite manufacture à la limite de l'artisanat entretient la persistance des traditions du métier. Ce qui explique l'aspect très "parcellisé" des organisations ouvrières. En 1881, on comptera 500 chambres syndicales, telle cette chambre syndicale des ouvriers de l'industrie lainière de Reims. Certaines d'entre elles s'unissent en Fédérations de professions, quelquefois d'industries. Dans les Ardennes, sous l'impulsion de Jean-Baptiste Clément, héros de la Commune, se constitue une "Fédération des Travailleurs Socialistes des Ardennes", qui, si elle ne connaît pas encore l'actuelle séparation entre parti ouvrier et organisation syndicale, représente une recherche unitaire intéressante. Mais l'existence de ces organismes n'est que tolérée. Plus ou moins ! Et souvent moins que plus... Il arrive qu'on se réunisse le dimanche dans un bois, sous couvert de sortie champêtre, ou le soir à la nuit tombée.

Malgré tout, le développement est tel que le gouvernement ne peut que légaliser un état de fait. Le 21 mars 1884, il reconnaît officiellement l'existence des syndicats.
Dans l'histoire du syndicalisme, ce n'est pas cas unique ! D'une manière générale, les lois arrivent très loin derrière la vie...


L'initiative de la croix-rousse



C'est aux tisseurs lyonnais, héritiers directs des canuts, que revient l'honneur d'avoir les premiers invité les divers syndicats de France à s'unir et à former une organisation nationale.
Les inviter était une chose. Parvenir à ce qu'ils s'entendent en était une autre ! Et pourtant, réunis à Lyon du 11 au 16 octobre 1886, les 110 délégués présents décideront de fonder la "FÉDÉRATION NATIONALE DES SYNDICATS ET GROUPES CORPORATIFS".
Le ministre de l'intérieur, qui s'inquiète fort de l'orientation que peut prendre la Fédération, fait surveiller attentivement le congrès. Ses craintes étaient justifiées, car les délégués, où les réformistes sont minoritaires, adoptent ouvertement une position de classe :
"Toute organisation ouvrière, qui n'est pas pénétrée de la distinction des classes par le fait même de la situation politique et économique de la société actuelle et qui n'existe que pour donner acquiescement aux volontés bourgeoises et gouvernementales ou présenter de petites observations respectueuses et par conséquent humiliantes pour la dignité du prolétariat, ne peut être considérée comme faisant partie des armées ouvrières marchant à la conquête de leurs droits."
Dans son adresse aux syndicats, la direction de la Fédération écrira : "Montrons à nos exploiteurs que, si nous avons su trouver la source de nos maux, nous avons su aussi en trouver le remède."
C'est sans doute là un optimisme quelque peu hâtif... La fédération ne réussira pas à cristalliser l'ensemble du mouvement syndical. Elle n'évitera pas nombre d'erreurs. Elle constituera cependant la première organisation professionnelle de dimension nationale.